L'ESPRIT VOGTOIS AU SERVICE DE LA REPUBLIQUE

Par Armand Ateba - Fri Oct 09 2020 - 648 vues

L'un des atouts majeurs offerts par l'école en tant qu'institution de socialisation, c'est la dotation d'un savoir et d'un savoir-faire au service de l'Homme et de la société. Il s'agit de former une élite capable d'agir sur son microcosme, dans le sens de la construction et du bien-être social. Cependant la cohésion sociale, quête permanente du droit positif pour aliéner les particularismes émanant des égos et de l'état de nature, ne saurait être garantie par la seule l'école du savoir et du savoir-faire. Intervient alors une autre dimension de l'école, celle de la formation de l'Homme dans toutes ses dimensions, faisant allusion à la morale ainsi qu'aux convictions personnelles qui guident le comportement de l'individu, pour le rendre apte à s'insérer favorablement dans une société des valeurs.

Le collège Vogt organe de socialisation d'un genre particulier, se révèle être promoteur d'une école particulière, une école de la vie, du savoir vivre, mieux de l'éthique sociale. Tant elle s'est maintenue dans le sillage chrétien des valeurs telles que l'amour, l'humilité, la prière, le partage et la rectitude morale. C'est sans doute fort de la pensée des pères missionnaires spiritains qui ont bien voulu se départir de l'ordinaire cadre d'éducation à la connaissance livresque et diplômante, qu'une conception de l'école autre que celle de la spéculation cognitive pour des « têtes pleines », a été perpétrée. Bien plus, l'école voulue par Monseigneur François Xavier Vogt est celle d'une démarche alliant les aspects cognitifs aux aspects situationnels et éthiques, à l'effet de produire des « têtes bien faites ».

La République, considérée comme ce biotope politique de partage des biens communs à travers le contrat social, commande la cohésion des valeurs subjectives et des diversités culturelles et religieuses. Elle met alors en exergue le double défi de la primauté de l'intérêt général sur l'intérêt particulier et de la recherche du bien-être social. Ainsi nous est-il donné de questionner l'accommodation de l'esprit vogtois aux valeurs de la république aujourd'hui, pour comprendre en d'autres termes l'impact de l'éducation vogtoise dans l'amélioration de notre cadre de vie au Cameroun, à travers l'action des élites issues de ce moule. C'est également le lieu de se demander si les desiratas des pères fondateurs d'antan sont restés d'actualités, dans un contexte où l'environnement se complexifie avec de nouvelles technologies et des influences de toutes sortes le plus souvent aux antipodes des valeurs à promouvoir par l'église Catholique dont la conduite des pasteurs de nos jours n'échappe pas à la critique.

Ces questions trouvent quelques esquisses de réponses : dans la rétrospective de l'arrivée de l'école au Cameroun et sa collaboration avec l'État depuis la colonisation, dans la mise en évidence les fondamentaux de l'éducation chrétienne en général et de l'esprit vogtois en particulier, ainsi que dans les interactions avec les valeurs républicaines, à travers l'action des élites vogtoises dans la gestion de la cité. Dans la perspective des accords de la Conférence de Berlin du 26 février 1885, sur le partage de l'Afrique, et pour imposer au pouvoir colonial l'obligation de protéger et de favoriser les institutions religieuses, le pouvoir colonial devait jouer un rôle important dans l'éducation scolaire au Cameroun comme ailleurs en Afrique. Ce qui avait sans doute donné lieu à l'obligation d'organiser une « école religieuse et pragmatique » dont l'objectif premier était la « formation exclusive de catéchistes autochtones pour la propagation de la religion chrétienne dans les villages soumis à l'évangélisation ». C'était donc un enseignement à caractère religieux, avec pour but « une évangélisation massive par le truchement des élèves et des catéchumènes » à l'effet de faire de tous des chrétiens.

A ce moment, l'école s'efforce d'inculquer aux élèves la discipline, l'amour du travail, le respect et l'obéissance à l'autorité établie »' à travers une formation religieuse qui ouvre l'homme à Dieu, à l'engagement après de Christ.

Au-delà de cet aspect religieux, le contenu des enseignements a trait aux valeurs de la vie telles que la discipline, l'amour du travail, le respect et l'obéissance à la hiérarchie, marquant ainsi le dualisme de formation du corps et de l'esprit. L'on comprend alors la motivation des parents à cette époque, attribuant à la scolarisation un double intérêt de retombée socio-économique pour la famille et de garantie d'un avenir pour le scolarisé.

Le Collège Vogt n'est pas en marge de cette logique. Bien plus, les pères Spiritains avaient une autre visée, celle de former une élite apte à gérer les affaires de la cité. Cet établissement fondé en 1947 à Efok à six kilomètres d'Obala par les frères des écoles chrétiennes, et transféré à la colline de Mvolyé entre 1951 et 1953, doit son ouverture à l'arrêté officiel n° 4062 du 30 octobre 1950, en conformité avec les règlements en vigueur au Cameroun sous tutelle française. Les frères des écoles chrétiennes auront la direction de l'établissement jusqu'en juin 1972, date après laquelle ils remirent la responsabilité à l'Archidiocèse de Yaoundé, ayant produit les premiers bacheliers en 1957. Ce qui laisse entrevoir une collaboration étroite entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Une alliance qui consacre le partage des valeurs, celles chrétiennes au service de la république, non pas seulement par l'évangélisation, mais aussi à l'effet d'impacter toute la société par l'occupation des hautes fonctions en même de garantir des décisions qui ne soient pas aux antipodes des valeurs chrétiennes.

A travers le site internet du collège, l'on peut voir exprimé en trois préoccupations, le rêve qui a toujours été celui des encadreurs du collège Vogt :

  • Former l'homme dans sa manière d'être personnelle et communautaire au service de chacun et de la société avec une éducation à l'amour de son pays, au respect des aînés, à la prise en charge personnelle de la discipline et des études, à la responsabilité communautaire au sein des comités de classe, à l'amitié. - Former l'homme dans ses compétences intellectuelles, pratiques et professionnelles futures en transmettant des savoirs, des méthodes de travail, en dispensant une formation de raisonnement, de la réflexion, de la communication. - Former l'enfant de Dieu à sa vie de foi et d'engagement dans l'Église et le monde , au service de l'Évangile en transmettant le donné de la Foi et la connaissance de ce qu'est la vie chrétienne, en faisant découvrir la différence religieuse pour apprendre à vivre dans le respect des autres religions et la fidélité à sa foi chrétienne.

A partir de ce qui précède, l'on peut donc aisément définir l'esprit vogtois comme celui qui habite l'Homme nanti des compétences intellectuelles et pratiques, pour servir inlassablement avec amour honnêteté et justice, l'Homme et la société, en menant une vie de foi et d'engagement dans l'œuvre de Dieu. Le collège Vogt demeure un étalon de référence en matière d'enseignement secondaire et de formation de l'homme au Cameroun, illustré depuis plusieurs décennies par ses résultats scolaires jusqu'à nos jours, sous la direction actuelle des frères de St Jean arrivés en 1985. Cette vision ainsi énoncée à travers l'esprit vogtois, met en évidence les valeurs qui s'harmonisent avec celles de la république à destination de laquelle sont orientés les produits de ce moule. Ce qui pourrait permettre de mettre en relief les rapports de coexistence entre les valeurs vogtoises et les valeurs républicaines. Le mot République ne recèle a priori aucune valeur qui puisse faire allusion à la vertu morale.Du latin res publica qui signifie au sens propre « chose publique » et désigne l'intérêt général puis le gouvernement, la politique et enfin l'État, ce mot polysémique connait une évolution de sa sémantique. Le terme République (avec un « R » majuscule) []compris comme l'ensemble des biens, des droits, des prérogatives de la puissance publique et des services propres à un État, s'oppose à la propriété privée puisqu'il s'agit des biens accessibles à tous les citoyens.

Tandis que le terme république (avec un « r » minuscule) dans le sens de régime politique se voulant démocratique, fait allusion aux États dont le chef est désigné par le peuple ou ses représentants, par opposition au régime politique antinomique de la monarchie (du type royaume, empire ou principauté) dans laquelle l'unité du pouvoir est symbolisée par une seule personne, appelée « monarque ». Cette acception est partagée par les auteurs tels que Platon de « La république » (Politeia, Aristote de « Le politique_ » (Politikie)_ et de CicéronDe « la république » (De Republica), tous traitantdes formes de gouvernement.

Avec la philosophie des lumières, cette acception a connu une évolution dès l'émergence des œuvres telles que le contrat social, Jean-Jacques Rousseau, qui définit la république comme « tout État régi par des lois, sous quelque forme d'administration que ce puisse être ». Ici, seulement l'intérêt public gouverne et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain. » Le terme est clairement synonyme de « gouvernement », de « bonne gouvernance ». République prend alors le sens de communauté d'esprit ou d'idée, dans le sens d'une recherche du bien commun dans un domaine donné[]. Plus loin on trouvera chez Blaise Pascal le concept de « République chrétienne » (Pensées, liv. XXIV, 15) repris par Voltaire[] ou Rousseau[].

De cette dernière acception, l'on peut mettre en évidence le principe de la gouvernance qui débouche sur un certain nombre de valeurs faisant l'unanimité des Etats du monde réunis autour des préoccupations d'aujourd'hui sur le développement durable, la lutte contre la pauvreté, la protection de l'environnement et les droits de l'homme.

C'est de cette acception que le concept de république nous suggère a posteriori des valeurs partagées par toute la planète, au-delà de liberté, égalité et fraternité prônées par la France, tributaires au demeurant de son histoire institutionnelle et politique.

La bonne gouvernance est une interpellation à l'élite de la cité pour gérer avec honnêteté, transparence et responsabilité le destin des peuples d'aujourd'hui et de demain à l'effet de leur garantir un bien-être social, ainsi que des libertés individuelles et collectives. Cela commande en plus du savoir et du savoir être, une manière d'être de penser d'agir dans le respect de la vie et la crainte de Dieu.

L'esprit vogtois a donc fort à propos une nécessité réelle de se diffuser dans toutes les couches de la société pour porter le message de la vérité, de l'honnêteté de la justice et de l'amour du prochain. C'est ce qui devrait caractériser le comportement des '_ 'vogtois pour toujours'' _ dans le quotidien de leur vécu aussi bien dans le milieu professionnel qu'au sein de leur famille, pour devenir ouvrier inlassable et acharné de paix et d'amour. Le fruit d'une telle formation pour soucieuses des têtes bien faites, fleurit des valeurs qui trouvent une parité avec celles de la république.

L'esprit vogtois au service de la république interpelle ainsi les scolarisés de la maïeutique de Monseigneur François Xavier Vogt au défi de l'imposition des valeurs chrétiennes face aux tares qui sont décriés et imputées aujourd'hui à une bonne Franche de l'élite dirigeante. Ces déviances démasquées par les mesures d'assainissement et de rectitude de comportement ordonnées par le Président de la République, témoignent le manque de respect vis-à-vis de la chose publique, par lequel se sont illustrés des intellectuels parfois issus des moules de cette orthodoxie, à travers un désir effréné de s'enrichir pour soi au détriment de l'Homme et de la République.

Ainsi pourrait-on conclure : l'esprit Vogtois ne dérobe pas, ne spolie pas et ne fait pas de tort à autrui. Mais bien au contraire, il est celui qui craint Dieu et œuvre inlassablement et avec foi, pour la justice, la paix, l'amour et le bien-être collectif.

L'ampleur des défis est sans cesse croissante, à l'observation de l'environnement d'aujourd'hui qui dévoile des pesanteurs de plusieurs ordres venant contrer les valeurs en décrépitudes. Ce combat entre le bien et le mal se trouve aggravée d'une part par la montée en puissance des littératures hérétiques et des sectes pernicieuses qui affichent leurs ambitions de domination politique en terme de pouvoir, et d'autre part par le recul des valeurs afférentes à la vie, à la paix et à l'amour. Au rang des instruments de cette aggravation figure en bonne place la montée vertigineuse des communications électroniques et TIC, dont les innovations ont rendu l'homme esclavage, en miroitant la facilité, la célérité, le e-government, le e-governance, le e-learning, le e-banking, le e-commerce etc…. Cette vulgarisation de l'internet n'est pas sans conséquence dans les différents maillons de la société en commençant par la famille, le service et l'église, réduisant l'Homme à une image, et développant des perversités et des envies démesurées de l'ordre chimérique. C'est une grande menace à l'éducation de la jeunesse qu'il convient de réguler, au risque de voir absorbées les valeurs humaines de d'équilibre social, par les plaisirs et la cupidité sans scrupule de ceux qui seront appelés à gérer les affaires de la cité.

ATEBA ABOMO

Cadre financier spécialiste en management des organisations publiques

Chef Service des Enquêtes et Statistiques à l'ART